Un fonds activiste a réussi à faire élire au conseil de surveillance au moins deux représentants. Il exhorte depuis des mois l’entreprise à se concentrer « sur l’accélération plutôt que sur le report de la transition » vers les énergies plus propres.
Le géant pétrolier Exxon, héritier de l’empire Rockefeller, a subi un camouflet sans précédent, mercredi 26 mai, lors de son assemblée générale. Un fonds activiste, Engine n° 1, ne détenant que 0,02 % des parts, a réussi à faire élire au conseil de surveillance au moins deux représentants.
Ce hedge fund ne détient qu’une participation de 54 millions de dollars (44 millions d’euros) dans Exxon, sur une capitalisation de 250 milliards de dollars (205 milliards d’euros) environ. Mais son patron, Chris James, qui exhortait depuis des mois l’entreprise à réduire ses dépenses d’investissement et à se concentrer « sur l’accélération plutôt que sur le report de la transition » vers les énergies plus propres, a réussi à emmener avec lui les grands investisseurs institutionnels de Wall Street. Il estimait que la politique « tout pétrole » d’Exxon lui faisait courir un risque existentiel.
Engine n° 1 a commencé par convaincre le fonds de pension des enseignants de Californie, ce qui n’était pas le plus difficile. Mais il a surtout réussi à faire basculer trois investisseurs institutionnels majeurs, Blackrock, Vanguard et State Street, qui détenaient ensemble plus de 20 % du capital de la « major ». La bataille des votes fut très coûteuse, Engine n° 1 et Exxon ayant dépensé respectivement 30 millions de dollars et 35 millions dans leur guerre de communication pour convaincre les actionnaires, petits et grands, du groupe pétrolier.
Cette assemblée générale est un échec personnel majeur pour le patron d’Exxon, Darren Woods, qui s’était personnellement engagé dans ce combat. Le patron groupe pétrolier américain n’est guère en bonne position, alors que son entreprise a perdu en 2020 22 milliards de dollars, frappée magistralement par la pandémie du Covid-19.
L’arrogance d’Exxon est légendaire
Le groupe, qui valait plus de 500 milliards de dollars en 2007 et était, il y a moins de dix ans, la première capitalisation mondiale, a perdu de sa superbe et n’est aujourd’hui qu’au 33e rang des entreprises mondiales. Selon le consultant de Clareo, Peter Bryant, Exxon est vulnérable, sans soutiens déterminés, car il n’a pas investi dans les énergies renouvelables et n’a pas non plus eu de bons résultats dans ses activités pétrolières pures. « C’est le pire des deux mondes », a déclaré au Wall Street Journal M. Bryant.
Exxon a toujours expliqué que son métier était d’exploiter le pétrole et a toujours rejeté la stratégie suivie notamment par ses concurrents européens, qui, tels Total, investissent massivement dans les énergies renouvelables et veulent atteindre in fine la neutralité carbone. Son PDG a refusé de s’engager sur cette voie comme le lui proposait Engine n° 1.
« Ils ne voulaient pas vraiment de discussion, déclara M. Woods récemment au Wall Street Journal (WSJ) à propos des activistes. Franchement, ils n’avaient pas de plan. » Pour lui, les compagnies pétrolières qui ont fait de telles promesses n’ont pas vraiment de programme pour y parvenir.
L’arrogance d’Exxon est légendaire. Son PDG emblématique, Lee Raymond (1993-2005), était célèbre au début du siècle pour combattre les mesures contre le réchauffement climatique et le protocole de Kyoto, ancêtre des accords de Paris sur le climat. Le WSJ rappelle qu’il avait parfois dénigré publiquement les questions des analystes financiers sur la stratégie de l’entreprise, les comparants parfois à « Mickey Mouse » ou « Goofy ».
Une entreprise en mauvaise santé
M. Raymond a laissé les rênes à Rex Tillerson, qui est devenu, en 2017, le premier secrétaire d’Etat du président Donald Trump. M. Tillerson laissa à M. Woods une entreprise en mauvaise santé, avec une rentabilité des capitaux investis tombée de 26 % en 2005 à 1,3 % en 2016, tandis que son trésor de guerre de 21 milliards de dollars s’était transformé en une dette de 39 milliards. Au moins M. Tillerson a-t-il réussi par son témoignage à aider son ancienne firme à gagner le procès intenté par l’Etat de New York pour avoir prétendument dissimulé l’impact de ses activités sur le réchauffement climatique. Avec un dossier bâclé, l’Etat avait essuyé, en décembre 2019, un camouflet des juges.
Le vote de mercredi a permis l’élection de huit administrateurs proposés par Exxon, dont son PDG Darren Woods, et de deux par Engine n° 1. Le score est si serré qu’il reste encore cinq sièges à attribuer. Engine n° 1 pourrait en obtenir un troisième.
Le groupe Exxon a encaissé sa défaite dans un communiqué : « Nous nous sommes activement engagés (…) en faveur de solutions à faible émission de carbone et dans les efforts visant (…) à améliorer les bénéfices. Aujourd’hui, les actionnaires nous ont fait part de leur désir de poursuivre ces efforts et nous sommes bien placés pour y répondre. »