Théorisé en 2010 aux Etats-Unis, le concept d’entreprise à mission est entré dans le corpus juridique français dix ans plus tard. Il s’agit d’encourager les entreprises à intégrer des critères sociaux et environnementaux dans leur gouvernance et à définir clairement leur raison d’être au sein de la société. Effet de mode ou nouveau paradigme ?

Créée par la loi Pacte et mise en application dès janvier 2020, la qualité d’entreprise à mission est plus qu’un simple label. Il s’agit en effet pour une entreprise d’affirmer publiquement sa raison d’être, ainsi que les objectifs sociaux et environnementaux qu’elle vise dans le cadre de son activité. Ces éléments ne manifestent pas seulement une intention ; ils doivent être inscrits dans les statuts de l’entreprise et déclarés au greffe du tribunal de commerce. La qualité de société à mission est ainsi mentionnée au répertoire Sirene, la base de données des entreprises et des établissements. En contrepartie, l’entreprise accepte de se soumettre aux vérifications périodiques de la bonne exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés dans ses statuts. Ces vérifications sont assurées par un organisme tiers indépendant (OTI) dûment accrédité. Dans le même ordre d’idées, une entreprise à mission doit se doter d’un organe de suivi où les salariés sont représentés et où ils peuvent vérifier la conformité des décisions de gestion de l’entreprise avec sa mission déclarée.

Ajuster les objectifs des entreprises aux attentes de la société

C’était justement l’un des deux objectifs (1) de cette loi dont l’acronyme signifie « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » : ajuster la fonction et les objectifs des sociétés aux attentes de la population et aux nécessités de l’époque, sans nuire à leur performance économique. Dans la présentation du texte de 2019, il était ainsi postulé que « les entreprises ne se limitent pas à la recherche du profit. L’entreprise doit être le lieu de création et de partage de sa valeur. (La loi Pacte) permet de redéfinir la raison d’être des entreprises et de renforcer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux liés à leur activité. » 

Quel intérêt présente ce nouveau statut, qui peut paraître un fil à la patte supplémentaire pour les entreprises qui l’adoptent ?

Il est d’abord un vecteur d’image et de promotion auprès des clients et des partenaires, mais il peut aussi servir à mieux formaliser en interne ce que recouvre exactement la mission de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Lors d’un colloque organisé l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) sur la loi Pacte en octobre 2019, dans la foulée de son adoption, Blanche Segrestin, professeur en théorie de l’entreprise à Mines-Paris-Tech, observait ainsi que « la loi exige maintenant que les entreprises (à mission) tiennent compte de leurs activités et de leurs impacts, et pas uniquement des intérêts de leurs actionnaires. » Toujours selon Blanche Segrestin, « le simple fait d’inscrire cet objet social dans les statuts d’une entreprise sert d’abord à crédibiliser la RSE et à protéger les entreprises qui entendent concrètement s’investir sur le long terme. Les actionnaires intéressés par ces projets ne pourront pas les modifier du jour au lendemain, car ils seront constitutifs des statuts des entreprises concernées. Ces engagements seront donc opposables et contrôlés. »

« Œuvrer à une transition juste »

En deux ans, déjà plus de 600 entreprises et organisations employant au total près d’un demi-million million de salariés ont adopté ce nouveau statut. Parmi elles, des pionniers comme le fabricant de vêtements et de bottes de pluie Aigle, plusieurs mutuelles (la Maif, Harmonie Mutuelle, la Camif…) et deux grandes banques : le Crédit mutuel alliance fédérale, qui a adopté le statut en 2020, et La Banque Postale, qui a fait le même choix en février 2022, avec pour raison d’être le fait « d’œuvrer à une transition juste », selon Philippe Heim, son président du directoire.

Pour autant, peut-on d’ores et déjà affirmer que les entreprises qui ont fait ce choix ont fait le bon choix ? En s’inscrivant volontairement dans une démarche contraignante pour elles, ne prennent-elles pas le risque de s’affaiblir vis-à-vis de leurs concurrents ? Une interrogation qui empêche sans doute encore beaucoup d’entreprises de franchir le pas. Mais l’exemple à suivre vient souvent de plus haut. Dans sa lettre annuelle aux dirigeants d’entreprises (2), Laurence Douglas Fink, président de BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs et d’investissements au monde, prévient ainsi qu’il sera désormais très attentif à la manière dont les entreprises dans lesquelles il investit incorporent la raison d’être à leur stratégie. « Il n’a jamais été aussi important pour les chefs d’entreprise de s’exprimer sans ambiguïté, d’avoir un objectif clair, une stratégie cohérente et une vision à long terme, écrit-il ainsi. Dans ce contexte mouvementé, la raison d’être de votre entreprise sert de guide. Les parties prenantes – dont dépend votre entreprise pour générer des bénéfices pour ses actionnaires – ont besoin d’entendre directement votre voix, de se sentir impliquées et motivées par vous. Il ne s’agit pas pour nous – en tant que dirigeants – de s’exprimer sur tous les sujets d’actualité, mais ces parties prenantes ont besoin de connaître notre position sur les questions de société indispensables à la réussite à long terme de nos entreprises. »

De quoi donner à réfléchir aux dirigeants qui ont encore pour seule boussole le profit et le montant du dividende à distribuer aux actionnaires.

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