Aux Etats-Unis, on les appelle les « professionnels de la bouteille », mais rien à voir avec la soif ou l’alcoolisme. Depuis près de 40 ans, on désigne ainsi les pauvres qui ramassent bouteilles et canettes vides partout où ils peuvent, pour ensuite les revendre contre quelques cents aux recycleurs de verre et d’aluminium.

Leur modèle économique repose sur une loi adoptée en 1983 par l’Etat de New-York, puis par dix autres Etats américains par la suite. Elle a instauré une consigne d’au moins 5 centimes pour chaque bouteille ou canette, que paye obligatoirement le consommateur au moment de l’achat. Une somme qu’il peut bien sûr récupérer en ramenant sa bouteille ou sa canette vide là où il l’a achetée ou chez un recycleur.

Sauf que dans la vraie vie, rares sont ceux qui font l’effort d’aller se faire rembourser les consignes, surtout dans les beaux quartiers de Manhattan, où les résidents ne sont vraiment pas à quelques dollars près. D’où l’émergence de ces « professionnels de la bouteille » –  les « canners » en anglais -, qui seraient entre 5000 et 10 000 à vivre de ce commerce d’un bout à l’autre de la Grosse Pomme, selon les estimations. La « filière » joue donc un rôle social important, dans un pays où les aides publiques sont quasi-inexistantes et où la charité privée ne vous paye pas le loyer ou l’essence.

Selon Conrad Cutler, le patron de Galvanize Group, un des gros recycleurs new-yorkais, les collecteurs bien organisés pourraient même gagner jusqu’à 200, voire 250 dollars par jour, à raison de 7 à 8 cents par contenant déconsigné. Et l’environnement ne s’en porte pas plus mal, car depuis l’adoption de ce « Returnable Container Act » – plus connu aux Etats-Unis sous le nom de « Bottle Bill » -, le taux de recyclage des bouteilles et canettes a bondi de 75%, faisant fondre le volume des poubelles new-yorkaises dans les mêmes proportions. 

Outre offrir une possibilité de revenu à une frange de la population qui n’en a pas d’autre, le « Bottle Bill » a aussi fait émerger de nouvelles entreprises du secteur de l’économie sociale  – ce qu’on appelle le « non-profit business ». Parmi elles Sure We Can, qui non seulement recueille et paye ce que les collecteurs ont récupéré dans les bars, les restaurants, les bureaux et les résidences, mais aussi accueille, conseille et connecte les « canners » entre eux. Fondés par eux et pour eux en 2007, cette communauté rassemble environ 800 collecteurs réguliers, à qui un total de près de 700 000 $ a été distribué en 2019.

Depuis, la vie est plus difficile, la pandémie ayant tari quelques unes de leurs principales sources d’approvisionnement durant les confinements, quand les new-yorkais restés terrés chez eux. Les seuls qui parvenaient à tirer leur épingle du jeu pendant ces périodes sont les « canners » bien implantés auprès des concierges d’immeubles résidentiels, les seuls à continuer de produire du contenant en masse. Même parmi les plus pauvres, chaque crise a ses gagnants et ses perdants.

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